Henri Leclerc : "On appelait les policiers 'les gardiens de la paix' : aujourd'hui, c'est 'forces de l’ordre'"

A Paris, lors des manifestations de samedi dernier ©AFP
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A Paris, lors des manifestations de samedi dernier ©AFP
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Henri Leclerc, avocat, président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme, et Sebastian Roché, chercheur au CNRS et auteur du livre De la police en démocratie (Grasset), sont les invités du Grand entretien de France Inter.

Avec
  • Sebastian Roché Sociologue, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la comparaison des systèmes de police
  • Henri Leclerc Avocat, président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH)

Qu'a pensé Henri Leclerc de la manifestation de samedi contre la loi sécurité globale ? "Cela monte que les libertés fondamentales restent un besoin. Il y a un texte de loi qui porte atteinte à ce qui est une colonne de la démocratie, la liberté d’information, et d’autre part cette illustration complète des dispositions de cet article 24. Donc les gens sont venus, j’étais même étonné par l’importance de cette manifestation. Je sais bien qu’il y a eu des incidents en fin de manifestation. D’abord, ces incidents, je constate qu’ils ont été filmés, et que donc là sans doute, le gouvernement considère qu’il s’agit d’images bienveillantes pour la police."

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"Un policier molesté, c’est insupportable, autant que l’image de Michel Zecler tabassé par plusieurs policiers. Mais on a vu aussi après un homme traîné au sol auquel on donnait des coups de pied, on a vu ce photographe syrien molesté. Il faut que les gens sachent cela, car cela pose le problème des forces de l’ordre."

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"Autrefois, on les appelait les gardiens de la paix : aujourd'hui, ce sont les forces de l’ordre. Ça pose un problème."

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"Il y a maintenant un précédent", estime Sebastian Roché sur les récentes images de violences policières qui ont choqué l'opinion publique. "Une grande partie des Français refusent la violence policière. Dans nos sociétés, de plus en plus, on refuse que les autorités soient violentes : que ce soient les maris dans leurs couples, les prêtres vis-à-vis des enfants, ou les policiers. Aujourd’hui, le fait d’appartenir à une autorité n’autorise plus la violence. Ce mouvement de rejet a commencé avant [les images de Michel Zecler], il a commencé avec la formation de différents petits groupes dans la société française, essentiellement de familles de victimes, comme dans le cas d’Adama Traoré. Puis il y a eu une manifestation importante de 20.000 personnes devant le TGI de Paris ; on n’avait jamais vu ça, des manifestations des victimes vers des lieux de pouvoir. Et enfin, la manifestation [de ce samedi] dans plusieurs villes de France."

"Il se passe quelque chose, qui s’inscrit dans une tendance de fond très importante. Le gouvernement ne l’a pas compris, il croit qu’il y a des incidents."

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"Dans une situation pareille, qui est-ce qu’on croit ? On croit le rapport écrit des policiers"

Henri Leclerc approuve : "Depuis 65 ans que je suis avocat, j’ai toujours vu la même chose : des violences imputées à des manifestants ou à des syndicalistes, qui disent “c’est pas nous qui avons tapé sur des policiers, ce sont eux qui nous ont tapé dessus”. Mais qu’est-ce que vous voulez faire ? Dans une situation pareille, qui est-ce qu’on croit ? On croit le rapport écrit des policiers, on croit les policiers, ça paraît impensable qu’ils fassent un faux rapport. Mais moi je l’ai vu plusieurs fois, et on a presque toujours réussi à retourner la situation, toujours avec des photos."

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Ces violences policières sont-elles des actes isolés, des "moutons noirs", ou y a-t-il un problème systémique ? "Je pense qu’il y a un vrai problème de comportement de la police. Mais je ne reproche pas ça aux policiers : les policiers ont peur, ils ne sont pas formés comme ils devraient l’être. Le film “Les Misérables”, compte tenu de ce que je sais, c'est presque un documentaire, ça se passe tous les jours. Ce qui se passe dans les banlieues, ces discriminations, on ne peut pas les nier. Et il y a une défiance qui s’instaure alors qu’on devrait avoir de la confiance : la police, c’est pas seulement une institution de la République, elle est prévue par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme, qui dit que “la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est instaurée pour l’avantage de tous et non pour l’intérêt particulier de ceux qui l’exercent”. La police devrait porter la paix, et nous sommes dans une situation de plus en plus grave."

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"La faute n’en est pas aux jeunes, ni aux policiers, mais au commandement : dans les manifestations, dans l'organisation de la répression, dans la dureté de l’ordre qu’il faut imposer, alors qu’il faudrait réussir à amener la paix."

"Huit fois plus" de violences pendant les contrôles en France qu'en Allemagne

"La situation de la police en France est extrêmement préoccupante", précise Sebastian Roché. "Elle traverse une crise morale comme jamais : une crise de comportement des agents (un certain nombre d’entre eux), une crise de la hiérarchie qui ne fait pas son travail (qui ne contrôle pas l’usage des armes, les habilitations). La police française est dans une très mauvaise posture, entre violence et racisme. Et on n’a pas encore ouvert la question de la corruption, puisqu’en général ces trois questions vont toujours ensemble et qu’elle devrait venir aussi sur la table."

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Il compare avec la situation chez notre voisin allemand : "En matière de discriminations, on a fait un certain nombre d’études et il n’y a pas de doute sur le fait que la police française est discriminatoire vis-à-vis des minorités ethniques, alors que ce n’est pas le cas dans la police allemande des Länder, ou dans une proportion bien moindre. En ce qui concerne la violence de police lors des contrôles, les ratios sont de 1 à 8, c’est huit fois plus fréquent en France que la police utilise la violence. Quand on regarde le nombre d’homicides policiers, le nombre de policiers qui tuent des citoyens, rapporté à la population, il est plus élevé qu’en Allemagne. Quand on regarde le nombre de tirs d’armes à feu, il est huit fois plus élevé en France qu’en Allemagne. Sur l’usage de LBD, il est infiniment plus élevé en France puisqu’en Allemagne, il n’est pas autorisé. On a une situation qui est extrêmement grave, pour lequel il y a à peine un début de prise de conscience politique, à reculons. Ce n’est pas suffisant."

"La police française est congelée dans les années 80"

"Il y a un problème de commandement, de vision : la police française est congelée dans les années 80, elle n’a pas fait évoluer sa doctrine de maintien de l’ordre", estime le chercheur au CNRS. "Elle n’a pas fait évoluer sa doctrine de sécurité publique, on en est toujours à essayer de trouver les personnes qui portent 2,5g de cannabis sur eux. Elle n’a pas fait évoluer son système de contrôle, qui reste un contrôle uniquement interne. La formation, elle est la conséquence de la direction politique. En huit mois, vous ne pouvez pas former des policiers compétents, quand les Danois prennent 24 mois et les Allemands 36 mois."

Henri Leclerc rappelle que ce n'est pas une fatalité : "Il y a eu d’autres moments dans la police. En mai 68, nous avons eu une chance inouïe, alors qu’il y avait une grande violence des deux côtés, c’est un préfet de police extraordinaire, le préfet Grimaud. Sa consigne était : “attention, frapper un homme à terre c’est impossible”. Il donnait des conseils de paix. Deuxièmement, on a connu l’affaire Malik Oussekine, où les mensonges ont été inouïs. C’est deux moments exceptionnels."

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"Je ne veux pas qu’on fasse peur aux policiers, j’en ai assez de voir ces policiers qui ont peur parce qu’ils sont mal commandés. Le maintien de l’ordre, c’est pas un problème de force, c’est un problème de paix."

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