Comment parler des caricatures à l'école, après Samuel Paty

Minute de silence dans une classe suite à l'assassinat de Samuel Paty ©Maxppp - Francois DESTOC
Minute de silence dans une classe suite à l'assassinat de Samuel Paty ©Maxppp - Francois DESTOC
Minute de silence dans une classe suite à l'assassinat de Samuel Paty ©Maxppp - Francois DESTOC
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À l'occasion de la "Semaine de la presse et des médias à l'école", nous avons tenté de savoir comment les enseignants abordent les questions de liberté d'expression, cinq mois après l'assassinat de leur collègue de Conflans-Sainte-Honorine. Les profs continuent-ils à utiliser les caricatures religieuses en cours ?

Beaucoup d'enseignants sont désormais plus prudents. Certains expliquent qu'ils ont peur de ne pas être protégés par l'institution. Cette professeur d'histoire-géographie, qui préfère témoigner anonymement, aurait pu céder à la peur et ne plus montrer de caricatures. Lorsqu'elle nous reçoit dans sa classe dans un collège de l'est de Paris, elle nous explique qu'elle a préféré changer de méthode pour ses cours sur la laïcité et la liberté de conscience avec sa classe de 3e. 

Elle nous montre les documents qu'elle utilise en classe : "Moi je donne des documents officiels pour ne pas avoir de problèmes avec les parents d'élèves. Avant j'utilisais souvent des documents que je prenais sur internet. Mais pour éviter des récriminations, des remarques, je préfère prendre maintenant des cahiers d'activités. Comme ça au moins, ça ne vient pas de moi, ça vient de l'institution".

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Montrer que ce n'est pas de l'islamophobie

Son collège accueille de nombreux élèves de confessions musulmane et juive. Elle a déjà eu des difficultés avec des familles et ne montre pas de caricatures d'entrée de jeu, comme elle le précise : "Si les élèves me demandent quelles sont les caricatures qui avaient choqué dans Charlie Hebdo, je leur montre. Mais je leur explique que Charlie Hebdo s'est attaqué aussi bien à l'islam qu'au catholicisme, qu'au judaïsme, et qu'ils ont fait le même type de caricatures pour chacune des religions. Comme ça ils ne se disent pas que c'est de l'islamophobie." 

Mais le sujet est plus sensible comme le confirme la principale du collège : "On a eu à constater quelque chose qui nous a étonné", dit-elle en montrant le flacon de gel hydroalcoolique à l'entrée de la salle de classe. "Vous avez vu, il y a une bouteille de gel dans toutes les salles et les professeurs mettent un peu de gel dès que les élèves rentrent". Et elle poursuit : 

"On a vu des élèves qui essuyaient leurs mains sur leur pantalon dès qu'on leur versait du gel parce qu'il y a un petit peu d'alcool, parce que c'est écrit 'gel hydroalcoolique' donc on se dit que ce sont des signaux et qu'il faut faire attention à ce que l'on dit"

"Effectivement on est précautionneux mais il faut absolument en parler. C'est notre mission dans le cadre de l'école" estime l'enseignante. 

Caricatures utilisées par un professeur pour son cours
Caricatures utilisées par un professeur pour son cours
© Radio France - Sonia Princet

"Une boule au ventre au début"

Faire attention mais ne pas renoncer, c'est aussi le crédo d'un jeune professeur qui exerce en lycée général et qui a accepté de témoigner. Il a été très marqué par l'assassinat de son collègue Samuel Paty et a mis au point une séquence pédagogique pour ses élèves, de la classe de seconde à la terminale, à partir de caricatures religieuses. "J'ai été extrêmement heurté par la violence de cet assassinat, dit-il. "J'ai mis un temps avant de réagir et puis, la semaine qui a suivi, j'ai commencé à réfléchir à cette séquence pédagogique", explique-t-il. "Par exemple, j'ai repris la Une de Charlie Hebdo où on voit Mahomet dire 'c'est dur d'être aimé par des cons'. Dans un premier temps, les élèves ont été choqués et ensuite j'ai essayé de leur faire comprendre que cette parole était à mettre en lien avec le sous-titre de la Une qui était 'Mahomet débordé par les intégristes' et là, du coup, ça a débloqué pas mal de choses chez les élèves"

Les professeurs prennent soin de replacer les caricatures, de différentes religions, dans leur contexte, même lorsqu'ils ne se sentent pas spécialement en danger dans leur établissement, comme c'est le cas de cet enseignant : "Peut-être, quand j'ai commencé à projeter les premières caricatures, j'ai eu une boule au ventre au début parce que forcément on pense à ce qui s'est passé, mais les choses se sont très bien déroulées ensuite. J'ai de bonnes relations avec mes classes, il y a une relation de confiance. Peut-être que certains enseignants ont peur de ne pas forcément avoir suffisamment de connaissances, de choses à dire, donc ils sont peut-être moins à l'aise à l'idée d'évoquer ce sujet. Il y a peut-être une forme d'autocensure. Moi je l'ai un peu ressentie quand je vous dis que j'ai eu une petite boule au ventre au début, ça manifeste une certaine crainte, une certaine peur. Je pense qu'il faut aussi essayer de la mettre un peu à distance, mais cela nécessite un vrai travail de réflexion et de lectures aussi pour pouvoir se confronter à des avis contraires et être capable d'apporter aux élèves des contre-arguments."

"Ne pas lâcher, ne pas abandonner"

Mais certains enseignants se sentent démunis. Depuis novembre, le nombre de demandes de formations sur le thème "Valeurs de la République" a explosé, selon le réseau Canopé qui propose des ressources et des séminaires en ligne, comme l'atteste Isabelle Poulain, formatrice pour la région PACA : "Quand ils assistent à nos formations,  il y a toujours un temps d'échange. Ils osent dire 'j'ai peur'. Un autre témoignage que l'on entend aussi c'est 'ma femme a peur pour moi maintenant'. Il y a une peur mais moi ce que j'ai ressenti clairement, c'est une forte volonté de ne pas lâcher. 

"Ils viennent vers nous, vers nos formations pour ça, pour avoir des outils, pour ne pas lâcher, pour ne pas abandonner."

C'est aussi une façon de poursuivre le travail de Samuel Paty et pour beaucoup d'enseignants, de développer surtout l'esprit critique chez leurs élèves. 

L'équipe

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