"Mon chef me touche les fesses" : les élèves des écoles hôtelières formés contre les violences en cuisine

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"Mon chef me touche les fesses" : les élèves des écoles hôtelières formés contre les violences en cuisine

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Les cheffes cuisinières Manon Fleury (à gauche) ett Laurène Barjoux (à droite) devant une classe du lycée hôtelier Jean Drouant à Paris
Les cheffes cuisinières Manon Fleury (à gauche) ett Laurène Barjoux (à droite) devant une classe du lycée hôtelier Jean Drouant à Paris
© Radio France - Faustine Calmel

Depuis quelques années, de rares chefs ou anciens employés de la restauration dénoncent les injures, les coups, voire les agressions sexuelles dans les cuisines. Pour alerter les futurs professionnels sur le sujet, l'association Bondir.e, créée par de jeunes cheffes trentenaires, intervient dans les écoles hôtelières.

Ce matin-là, ils sont une quarantaine d'élèves de terminale Sciences et technologies de l'hôtellerie et de la restauration (filière STHR) à s'installer, un peu agités, dans l'amphithéâtre du lycée Jean Drouant dans le 17ème arrondissement de Paris. Devant eux se tiennent deux jeunes cheffes, Manon Fleury et Laurène Barjoux. Toutes deux membres de l'association Bondir.e, créée il y a un peu plus d'un an et qui a déjà proposé plus d'une dizaine d'interventions dans des établissements à Paris et Strasbourg.

Insultes racistes, brimades et agressions sexuelles

Les deux jeunes femmes se sont formées dans les cuisines de nombreux restaurants, depuis les bistrots et brasseries, jusqu'aux cuisines des trois étoiles du Guide Michelin. Mais quel que soit le niveau de l'établissement, elles ont été confrontées à des violences. "Il y a ceux qui vous diront que vous êtes nuls, qui vont vous rabaisser ou tenter de vous isoler", explique Manon Fleury à ces jeunes à peine majeurs, "et ceux qui tenteront de vous agresser, aussi". Elle met en garde contre les lieux dans lesquels il faut être vigilant, vestiaires ou chambre froide. 

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Sa consœur Laurène Barjoux raconte : "Un homme qui me caressait systématiquement la cuisse pour accéder à un placard. Ce n'est pas tolérable, et vous êtes en droit d'exiger qu'il vous demande de vous décaler, plutôt que de toucher votre corps". Dans ces cuisines exigües, avec de gros coups de chaud au moment des services, ces exemples sont légions, "mais ce n'est en aucun cas une excuse pour justifier des situations qui ne doivent plus être acceptées", défendent les deux jeunes femmes.

Des jeunes déjà confrontés aux violences

Dans la salle, des doigts se lèvent, questionnent sur comment déposer plainte, que faire face à un supérieur qui vous humilie alors que l'on est en stage, comment reconnaître une agression. "Bien sûr que ça m'est déjà arrivé", lâche Siali, immense adolescent dans son costume noir, "cet été en stage, le chef me disait, 'mais qu'est-ce que tu fais-là, tu sers à rien, t'as rien à foutre ici'. Ils me trouvaient assez lent alors c'était des phrases comme 'tu dois être Antillais', juste pour me casser en fait".

Mais certains ont plus de difficultés à prendre la parole. Manon Fleury et Laurène Barjoux font alors circuler un panier avec de petits bouts de papier blanc, sur lesquels les élèves peuvent poser des questions ou relater des témoignages s'ils n'osent pas prendre la parole. Il en ressort ces phrases, que Laurène Barjoux lit à la salle : "Le chef cuisinier a fait des remarques sexuelles, des remarques sur le corps, il m'a mis mal à l'aise" ou encore "le chef me touche les fesses".

Prôner un nouveau modèle

Les intervenantes tentent de donner les clés pour réagir face à ces violences, savoir dire stop, et dénoncer voire porter plainte. "Nous sommes dans un moment où le secteur n'attire plus et n'arrive plus à recruter. Il faut complètement repenser notre modèle, et nous poser les bonnes questions", poursuit Manon Fleury, "on ne peut pas continuer comme ça. Nous n'avons pas envie de continuer comme ça. C'est grâce à cette génération qui entre dans les cuisines que l'on pourra changer les choses de façon profonde. Les changements, ils se sont font sur une génération, et ce sont eux qui vont réussir à changer les mentalités en cuisine".

C'est le but de l'association qui espère multiplier les interventions en milieu scolaire, tout en admettant que certaines écoles hôtelières ne sont pas très engagées. Certains jeunes encore frileux. "Si j'étais employé, ce serait différent", confie Mohammed à la sortie de cette conférence, "mais là je suis en stage, j'ai des stages obligatoires à faire dans ma scolarité, donc même si c'est dur je vais me sentir obligé de rester jusqu'à la fin, pour le bac".

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