"Méritocratie", "islamo-gauchisme", "violences policières " : Pap Ndiaye dans le texte

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"Méritocratie", "islamo-gauchisme", "violences policières " : Pap Ndiaye dans le texte

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Pap Ndiaye est le nouveau ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.
Pap Ndiaye est le nouveau ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.
© Radio France - Capture d'écran France Inter / DR

Historien et professeur des universités, puis directeur du Musée national de l'Immigration, Pap Ndiaye, nouveau ministre de l'Éducation nationale, est spécialiste de la question noire. De par ses fonctions, il s'est régulièrement exprimé sur l'actualité, souvent à l'opposé de certains macronistes.

C'est la nomination qui a fait le plus réagir au sein du nouveau gouvernement d'Elisabeth Borne. Pap Ndiaye, professeur des universités âgé de 56 ans, est le nouveau ministre de l'Education nationale et de la jeunesse. Un virage à 180 degrés par rapport à son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, qui détient le record de longévité à ce poste. L'un était connu pour sa rigidité, notamment sur la laïcité, l'autre l'est pour son caractère consensuel et diplomate. L'un lutte avec ferveur contre le "wokisme", l'autre considère qu'il s'agit d'un "épouvantail plus qu’une réalité".

Durant sa carrière à l'université et lors de ses précédentes missions pour le gouvernement, Pap Ndiaye a eu l'occasion de s'exprimer sur de nombreux sujets, allant souvent à l'encontre des propos de membres du gouvernement qu'il rejoint. Mais que pense vraiment ce chercheur, spécialiste de la question noire et des discriminations raciales, fervent défenseur de la "méritocratie républicaine" ? Voici Pap Ndiaye, dans le texte.

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Sur "l'islamo-gauchisme" : "aucune réalité dans l'Université"

Le terme apparait dans le débat public en début d'année 2021, quand la demande de Frédérique Vidal, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, d'une enquête sur le déploiement de cette idéologie dans les universités françaises, fait polémique. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation, la soutient, et déclare sur BFMTV que "l'islamo-gauchisme " est un "fait social indubitable", qu'"il faut regarder en face", s'insurgeant notamment contre des réunions "en non-mixité raciale choisie" tenues par le syndicat Sud-Education 93 en 2017, et contre lesquelles il a porté plainte.

Répondant à cette polémique, Pap Ndiaye déclare sur France Inter que "le terme islamo-gauchisme ne désigne aucune réalité dans l'Université. C'est une manière de stigmatiser des courants de recherche", estime-t-il. Au contraire, il parle d"'intersectionnalité", qu'il tente de définir : "considérer que les situations sociales sont le fruit d’entrecroisement de discriminations diverses." Il ajoute : "ce sont des recherches tout à fait importantes qui irriguent la recherche internationale et il serait catastrophique de les mettre à l’index, même s'il peut y avoir des problèmes avec des formes de crispation identitaire, avec des formes de sectarisme parfois, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain*."*

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Sur le "wokisme" : "un épouvantail plus qu'une réalité"

Même opposition entre les deux hommes sur le concept de "wokisme". En octobre dernier, Jean-Michel Blanquer a lancé un think thank "Le Laboratoire de la République", visant notamment à lutter contre l'idéologie "woke".

Pour Pap Ndiaye, "être woke" (de l'anglais awake, réveillé), "c’est être conscientisé, vigilant, engagé. Cette expression argotique a cheminé dans le monde africain-américain à partir des années 1960", explique-t-il au journal Le Monde en février 2021. Il associe l'origine de ce terme à un discours de Martin Luther King en 1965, où celui-ci exhorte les étudiants à rester "éveillés" ("awake") et "une génération engagée". Six mois plus tard, Pap Ndiaye déclare, toujours au Monde "partager la plupart des causes" de ces nouveaux militants woke "comme le féminisme, la lutte pour la protection de l’environnement ou l’antiracisme", excluant tout de même "les discours moralisateurs ou sectaires".

Pour le chercheur, le "wokisme", tel qu'il est dénoncé par certains est "un épouvantail plus qu'une réalité" (Le Monde, janvier 2022).

Sur la méritocratie : "Je suis un pur produit de la méritocratie républicaine"

Cette citation est issue du discours prononcé ce vendredi 20 mai par le chercheur lors de la passation de pouvoir avec Jean-Michel Blanquer, rue de Grenelle. Il a rendu hommage à ses "enseignantes et enseignants" à qui, dit-il "il doit tant", ajoutant que "l'école est le pilier" de cette "méritocratie républicaine". De père sénégalais et de mère française, Pap Ndiaye a grandi en banlieue parisienne à Anthony, avant d'intégrer les prestigieux lycées Lakanal et Henri IV, puis l'ENS de Saint-Cloud et l'Université de Virginie aux États-Unis.

Sur les violences policières : il y a une "attitude de déni" en France "depuis longtemps"

Pap Ndiaye fait cette déclaration sur France Inter en juin 2020, à l'heure des manifestations "Black Lives Matter" aux Etats-Unis, contre le décès de George Floyd, cet homme noir étouffé sous le genou d'un policier blanc. Il dit ne pas être étonné de l'absence de réaction des autorités françaises alors que d'autres chefs d'État internationaux réagissent, car "l'attitude de déni sur les violences policières en France est classique, et depuis longtemps."

Il estime tout de même qu'aujourd'hui, au vu des travaux universitaires publiés, la France ne peut plus ignorer "la réalité pourtant évidente d'une partie de la jeunesse française : les contrôles au faciès, les difficultés avec la police, parfois la violence ."

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Sur le racisme : "Il existe bien un racisme structurel en France"

Cette déclaration intervient encore en réponse à la plainte déposé par Jean-Michel Blanquer en 2017 (et classé sans suite depuis) contre le stage syndical de SUD-Education 93, qui propose d’analyser le "racisme d’Etat", lors d'une réunion "en non-mixité raciale". Pap Ndiaye dément alors l'idée d'un "racisme d'État", dans le journal Le Monde, car cela "suppose que les institutions de l’Etat soient au service d’une politique raciste, ce qui n’est évidemment pas le cas en France. (...) En revanche, il existe bien un racisme structurel en France, par lequel des institutions comme la police peuvent avoir des pratiques racistes", analyse-t-il.

Sur Emmanuel Macron : "on peine à discerner une politique, ou même un point de vue consistant"

Il fait cette déclaration au journal Le Monde, lors d'un entretien fleuve en 2019 où il dresse un bilan de l'évolution de la société française et de la Recherche sur les discriminations raciales. Il se dit alors déçu de "la gauche, tiraillée entre un courant républicaniste rigide - prêtant non seulement peu d’attention aux questions des minorités, mais considérant aussi qu’elles sont néfastes parce qu’elles affaibliraient la nation (…) et un courant plus ouvert". Il reproche à François Hollande, qu'il a soutenu lors de l'élection présidentielle de 2012, de ne pas avoir voulu trancher la question.

"Quant à Emmanuel Macron, au centre droit, s’il lui arrive de s’exprimer avec éloquence comme lors du 10 mai, à propos de la mémoire de l’esclavage, on peine à discerner une politique, ou même un point de vue consistant", dit-il alors.

Depuis, les différentes missions portées par Pap Ndiaye pour le gouvernement, notamment son rapport sur la diversité pour l'Opéra de Paris, son travail sur l'exposition "Le modèle noir", au Musée d'Orsay, et sa nomination à la tête du Musée national de l'Immigration, ont certainement rapproché les deux hommes.

Sur les syndicats étudiants : "Je crains que le sectarisme ne soit en train de l’emporter dans les mouvances décoloniales étudiantes"

Si Pap Ndiaye est engagé dans la reconnaissance d'une "parole collective" noire, et se réjouit que les syndicats étudiants aient élargi leurs combats à "la place des femmes, des personnes en situation de handicap, des personnes LGBT, des non-Blancs", il se souvient dans cette même interview au Monde d'un épisode à Sciences Po où il a enseigné durant cinq ans : "L’UNEF et SUD-Etudiants ont soutenu les "étudiants en lutte" de Sciences Po, au printemps 2018, dénonçant l’idéologie "néolibérale et raciste" des enseignements", en étant, poursuit-il, "incapables de justifier cette charge outrancière".

Il se dit alors "songeur" face à des "stratégies de dénonciation tous azimuts et de confrontation très dure" qui selon lui, "s'avèrent contre-productives". Il conclut : "Je crains que le sectarisme ne soit en train de l’emporter dans les mouvances décoloniales étudiantes".

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